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Paul-Émile Borduas, Modulation aux points noirs, 1955
Estimate:
CA$400,000 - CA$600,000
Sold
CA$444,000
Timed Auction
BYDealers – Art canadien historique et d’après-guerre / Historical and Post-War Canadian Art
ARTIST
Paul-Émile Borduas
Size
61 x 50,8 cm / 24 x 20 in
Description
Ce départ pour Paris est peut-être le point culminant de l’aventure.
– Paul-Émile Borduas à Gilles Corbeil, 3 septembre 1955
C’est à bord du Liberté que Paul-Émile Borduas quitte New York pour Paris, le 21 septembre 1955, avec sa fille Janine. Cette traversée océanique d’un continent à l’autre, qui incarne d’ores et déjà le « bond simplificateur» auquel sa peinture sera assujettie jusqu’en 1956, marque ainsi le cycle le plus célébré et le plus prisé de la carrière exceptionnelle de cet artiste : la période parisienne.
Modulation aux points noirs (1955) s’inscrit dans la toute première fournée que produit le peintre fraîchement installé dans le mythique atelier de la rue Rousselet. On retient au total six tableaux de ce corpus pour le moins rare, tableaux recensés dans l’avis d’expédition à la galerie Laing, à Toronto, en date du 5 mars 1956[1]. Borduas fait référence à ces titres comme étant ses « dernières toiles » ou « des tableaux de Paris », notamment dans des lettres adressées aux Lortie et à Jean-René Ostiguy[2], qui lui sollicite un tableau pour une exposition à la Smithsonian Institution (Washington, D.C.). À ce dernier, Borduas répond en situant sa nouvelle production parmi les tendances de la peinture contemporaine : « Que ces tableaux soient devenus de plus en plus blancs, de plus en plus “objectifs,” ils n’en restent pas moins complexes, quand je vois tout autour de moi des œuvres au sens clair et précis, de l’expressionnisme au graphisme. […] Toujours les miens me semblent faire une synthèse émotive d’éléments très nombreux[3]. » Dans cet extrait, le peintre réagit à brûle-pourpoint à la peinture qui l’intéresse alors à Paris – celle de Jackson Pollock, celle de Georges Mathieu –, ce qui nous informe du même coup sur ses récentes créations: américaines d’esprit, parisiennes de forme.
Dans Modulation aux points noirs, les empâtements blancs sont robustes et forment des reliefs en creuset qui soulèvent des rouleaux de matière à leurs extrémités latérales. Les blancs écrasés en leur centre laissent entrevoir des trouées de couleurs, des glissandos de gris chauds, plus abondants vers les rebords de la toile. Ces pavés crémeux se videront successivement de leurs pigments et s’agglutineront bientôt sur les noirs pour former la série emblématique du peintre, que le présent tableau appelle en tous points. Ici, les coups de spatule sont solidement ancrés dans l’aire picturale, chorégraphiés à l’image d’un damier en mouvement. Les imbrications parfaitement construites sont ponctuées de petits éclats noirs et carmin, perlés ou déposés à la tranche de la truelle, suggérant un traitement all-over hérité de la période new-yorkaise. On remarque la présence accrue des tachetures dans les tableaux de cette fournée, comme un leitmotiv autour du mouvement : «Tous les titres de cette première série parisienne évoquent des mouvements continus (“modulation,” “coulée,” “persistance”), alternatifs (“girouette,” “balancement”) ou rythmés (“danse”) et donc aussi, en un sens, des temps qualifiés[4] », observe l’historien de l’art François-Marc Gagnon.
Cette empreinte fraîche et aérienne, piquetée çà et là au sein d’une construction fortifiée, puis fracturée par d’innombrables interstices, souligne le caractère essentiel de la modulation de la surface durant la période parisienne. Cet élan formel « de l’expressionnisme au graphisme » traduit également l’état d’esprit dans lequel semblait se trouver l’artiste, entre l’effervescence de la nouveauté et l’intériorité méditative d’une telle décharge vitale, dont Modulation aux points noirs semble tout imprégnée.
(Annie Lalfeur)
—
This departure for Paris may be the culmination of the adventure.
–Paul-Émile Borduas to Gilles Corbeil, September 3, 1955
It was aboard the Liberté that Paul-Émile Borduas left New York for Paris on September 21, 1955, with his daughter Janine. This ocean crossing from one continent to another—an early embodiment of the “simplifying leap” that would drive his painting until 1956—thus marked the most celebrated and prized cycle of work in Borduas’s exceptional career: the Parisian period.
Modulation aux points noirs (1955) is part of the very first batch that Borduas produced when newly settled in the legendary studio on Rue Rousselet. In total, there are six paintings from this exceedingly rare body of work, paintings that were listed in the packing list for Laing Galleries, Toronto, dated 1956.[1] Borduas refers to these titles as his “latest paintings,” or the “Parisian paintings,” notably in letters addressed to the Lorties and to Jean-René Ostiguy,[2] who had asked him for a painting for an exhibition at the Smithsonian Institution, in Washington, DC. In his response to the latter, Borduas situated his recent production within current trends in contemporary painting: “Though these pictures have become increasingly white, increasingly ‘objective,’ they are complex nonetheless, when I see works around me with clear and precise meaning, from the expressionist to the linear ... Mine always seem to strive for an emotional synthesis of a great many elements.”[3] Here, Borduas was reacting to the painting that was drawing his attention at the time in Paris—the work of Jackson Pollock and Georges Mathieu—which, by the same token, tells us about his new production at the time: American in spirit, Parisian in form.
In Modulation aux points noirs, the robust white impastos form cavernous reliefs that amass rolls of pigment at the lateral edges. The squashed white at their centre offers glimpses of colour, streaks of warm greys, more plentiful at the edges of the painting. These creamy swaths are emptied of their pigment one after another and soon coalesce onto the blacks to form Borduas’s emblematic series, which this painting signals in every respect. Here, the strokes of the spatula are solidly anchored in the pictorial area, choreographed as in a moving checkerboard. The perfectly interwoven constructions are punctuated by small splashes of black and carmine, beaded or deposited with the edge of the trowel, suggesting an all-over treatment inherited from the New York period. One notices the increased presence of splotches in this batch, like a leitmotif around the movement; art historian François-Marc Gagnon observes, “All the titles in this first Parisian series suggest movement, whether continuous (modulation, coulée [flow], persistance), alternating (girouette [weather vane], balancement [rocking]), or rhythmical (danse), and thus also, in a sense, temporal attributions.”[4]
This fresh, airy impression, studded here and there within a fortified construction, and then fractured by countless interstices, highlights the essential nature of surface modulation during the Parisian period. This formal momentum “from the expressionist to the linear” also renders Borduas’s apparent state of mind, between the effervescence of novelty and the meditative interiority within the vital energy with which Modulation aux points noirs seems so thoroughly imbued.
(Annie Lafleur. Translation: Ron Ross)
_____
[1] GAGNON, François-Marc. Paul-Émile Borduas (1905-1960) : Biographie critique et analyse de l’œuvre, Montréal, Fides, 1978, p. 395. [All English translations ours]
[2] Ibid., p. 399.
[3] Ibid., p. 398-399.
[4] Ibid., p. 399.
– Paul-Émile Borduas à Gilles Corbeil, 3 septembre 1955
C’est à bord du Liberté que Paul-Émile Borduas quitte New York pour Paris, le 21 septembre 1955, avec sa fille Janine. Cette traversée océanique d’un continent à l’autre, qui incarne d’ores et déjà le « bond simplificateur» auquel sa peinture sera assujettie jusqu’en 1956, marque ainsi le cycle le plus célébré et le plus prisé de la carrière exceptionnelle de cet artiste : la période parisienne.
Modulation aux points noirs (1955) s’inscrit dans la toute première fournée que produit le peintre fraîchement installé dans le mythique atelier de la rue Rousselet. On retient au total six tableaux de ce corpus pour le moins rare, tableaux recensés dans l’avis d’expédition à la galerie Laing, à Toronto, en date du 5 mars 1956[1]. Borduas fait référence à ces titres comme étant ses « dernières toiles » ou « des tableaux de Paris », notamment dans des lettres adressées aux Lortie et à Jean-René Ostiguy[2], qui lui sollicite un tableau pour une exposition à la Smithsonian Institution (Washington, D.C.). À ce dernier, Borduas répond en situant sa nouvelle production parmi les tendances de la peinture contemporaine : « Que ces tableaux soient devenus de plus en plus blancs, de plus en plus “objectifs,” ils n’en restent pas moins complexes, quand je vois tout autour de moi des œuvres au sens clair et précis, de l’expressionnisme au graphisme. […] Toujours les miens me semblent faire une synthèse émotive d’éléments très nombreux[3]. » Dans cet extrait, le peintre réagit à brûle-pourpoint à la peinture qui l’intéresse alors à Paris – celle de Jackson Pollock, celle de Georges Mathieu –, ce qui nous informe du même coup sur ses récentes créations: américaines d’esprit, parisiennes de forme.
Dans Modulation aux points noirs, les empâtements blancs sont robustes et forment des reliefs en creuset qui soulèvent des rouleaux de matière à leurs extrémités latérales. Les blancs écrasés en leur centre laissent entrevoir des trouées de couleurs, des glissandos de gris chauds, plus abondants vers les rebords de la toile. Ces pavés crémeux se videront successivement de leurs pigments et s’agglutineront bientôt sur les noirs pour former la série emblématique du peintre, que le présent tableau appelle en tous points. Ici, les coups de spatule sont solidement ancrés dans l’aire picturale, chorégraphiés à l’image d’un damier en mouvement. Les imbrications parfaitement construites sont ponctuées de petits éclats noirs et carmin, perlés ou déposés à la tranche de la truelle, suggérant un traitement all-over hérité de la période new-yorkaise. On remarque la présence accrue des tachetures dans les tableaux de cette fournée, comme un leitmotiv autour du mouvement : «Tous les titres de cette première série parisienne évoquent des mouvements continus (“modulation,” “coulée,” “persistance”), alternatifs (“girouette,” “balancement”) ou rythmés (“danse”) et donc aussi, en un sens, des temps qualifiés[4] », observe l’historien de l’art François-Marc Gagnon.
Cette empreinte fraîche et aérienne, piquetée çà et là au sein d’une construction fortifiée, puis fracturée par d’innombrables interstices, souligne le caractère essentiel de la modulation de la surface durant la période parisienne. Cet élan formel « de l’expressionnisme au graphisme » traduit également l’état d’esprit dans lequel semblait se trouver l’artiste, entre l’effervescence de la nouveauté et l’intériorité méditative d’une telle décharge vitale, dont Modulation aux points noirs semble tout imprégnée.
(Annie Lalfeur)
—
This departure for Paris may be the culmination of the adventure.
–Paul-Émile Borduas to Gilles Corbeil, September 3, 1955
It was aboard the Liberté that Paul-Émile Borduas left New York for Paris on September 21, 1955, with his daughter Janine. This ocean crossing from one continent to another—an early embodiment of the “simplifying leap” that would drive his painting until 1956—thus marked the most celebrated and prized cycle of work in Borduas’s exceptional career: the Parisian period.
Modulation aux points noirs (1955) is part of the very first batch that Borduas produced when newly settled in the legendary studio on Rue Rousselet. In total, there are six paintings from this exceedingly rare body of work, paintings that were listed in the packing list for Laing Galleries, Toronto, dated 1956.[1] Borduas refers to these titles as his “latest paintings,” or the “Parisian paintings,” notably in letters addressed to the Lorties and to Jean-René Ostiguy,[2] who had asked him for a painting for an exhibition at the Smithsonian Institution, in Washington, DC. In his response to the latter, Borduas situated his recent production within current trends in contemporary painting: “Though these pictures have become increasingly white, increasingly ‘objective,’ they are complex nonetheless, when I see works around me with clear and precise meaning, from the expressionist to the linear ... Mine always seem to strive for an emotional synthesis of a great many elements.”[3] Here, Borduas was reacting to the painting that was drawing his attention at the time in Paris—the work of Jackson Pollock and Georges Mathieu—which, by the same token, tells us about his new production at the time: American in spirit, Parisian in form.
In Modulation aux points noirs, the robust white impastos form cavernous reliefs that amass rolls of pigment at the lateral edges. The squashed white at their centre offers glimpses of colour, streaks of warm greys, more plentiful at the edges of the painting. These creamy swaths are emptied of their pigment one after another and soon coalesce onto the blacks to form Borduas’s emblematic series, which this painting signals in every respect. Here, the strokes of the spatula are solidly anchored in the pictorial area, choreographed as in a moving checkerboard. The perfectly interwoven constructions are punctuated by small splashes of black and carmine, beaded or deposited with the edge of the trowel, suggesting an all-over treatment inherited from the New York period. One notices the increased presence of splotches in this batch, like a leitmotif around the movement; art historian François-Marc Gagnon observes, “All the titles in this first Parisian series suggest movement, whether continuous (modulation, coulée [flow], persistance), alternating (girouette [weather vane], balancement [rocking]), or rhythmical (danse), and thus also, in a sense, temporal attributions.”[4]
This fresh, airy impression, studded here and there within a fortified construction, and then fractured by countless interstices, highlights the essential nature of surface modulation during the Parisian period. This formal momentum “from the expressionist to the linear” also renders Borduas’s apparent state of mind, between the effervescence of novelty and the meditative interiority within the vital energy with which Modulation aux points noirs seems so thoroughly imbued.
(Annie Lafleur. Translation: Ron Ross)
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[1] GAGNON, François-Marc. Paul-Émile Borduas (1905-1960) : Biographie critique et analyse de l’œuvre, Montréal, Fides, 1978, p. 395. [All English translations ours]
[2] Ibid., p. 399.
[3] Ibid., p. 398-399.
[4] Ibid., p. 399.
Medium
Huile sur toile / Oil on canvas
Signature
signée au bas à gauche / signed lower left
Provenance
Blair Laing Gallery, Toronto
Sotheby's: Important Canadian Art, Toronto, Tuesday, November 23, 2010 [Lot 00106]
Collection particulière / Private collection, Toronto
Sotheby's: Important Canadian Art, Toronto, Tuesday, November 23, 2010 [Lot 00106]
Collection particulière / Private collection, Toronto
Literature
Saskatoon Collects, catalogue d’exposition, Saskatoon, Saskatoon Gallery and Conservatory Corporation (Mendel Art Gallery), 1974.
GAGNON, François-Marc. Paul-Émile Borduas, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1988.
GAGNON, François-Marc. Paul-Émile Borduas (1905-1960) : Biographie critique et analyse de l’œuvre, Montréal, Fides, 1978. Mention de l’œuvre aux pages 395 et 533. / Mention of the art work on pages 395 and 533.
GAGNON, François-Marc. Paul-Émile Borduas: A Critical Biography, translated from the French by Peter Feldstein, Montréal and Kingston, McGill-Queens’s University Press, 2013. Mention de l’œuvre à la page 388. / Mention of the art work on page 388.
MOPPETT, George. The Private Eye, catalogue d’exposition, Saskatoon, Saskatoon Gallery and Conservatory Corporation (Mendel Art Gallery), 1979, p. 24. No de catalogue / Catalogue No.: 2.
No de catalogue raisonné / Catalogue No.: 2005-1183
GAGNON, François-Marc. Paul-Émile Borduas, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1988.
GAGNON, François-Marc. Paul-Émile Borduas (1905-1960) : Biographie critique et analyse de l’œuvre, Montréal, Fides, 1978. Mention de l’œuvre aux pages 395 et 533. / Mention of the art work on pages 395 and 533.
GAGNON, François-Marc. Paul-Émile Borduas: A Critical Biography, translated from the French by Peter Feldstein, Montréal and Kingston, McGill-Queens’s University Press, 2013. Mention de l’œuvre à la page 388. / Mention of the art work on page 388.
MOPPETT, George. The Private Eye, catalogue d’exposition, Saskatoon, Saskatoon Gallery and Conservatory Corporation (Mendel Art Gallery), 1979, p. 24. No de catalogue / Catalogue No.: 2.
No de catalogue raisonné / Catalogue No.: 2005-1183
Exhibited
Saskatoon Collects, Saskatoon Gallery and Conservatory Corporation (Mendel Art Gallery), Saskatoon, Saskatchewan, 1974.
The Private Eye, Saskatoon Gallery and Conservatory Corporation (Mendel Art Gallery), Saskatoon, Saskatchewan, February 14 – March 13 1979, No. L79-13.
The Private Eye, Saskatoon Gallery and Conservatory Corporation (Mendel Art Gallery), Saskatoon, Saskatchewan, February 14 – March 13 1979, No. L79-13.